Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (épisode 10)

lapinblancPar Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr

Christian vient de quitter le département d’Indre-et-Loire, pour entrer dans celui de la Vienne. Il songe que c’est dans cette région, entre Châtellerault et Poitiers, qu’en l’an 732, Charles Martel mit un coup d’arrêt aux pillages systématiques auxquels se livraient les armées musulmanes d’Abd er-Rahman. Nombre d’historiens voient aujourd’hui un certain opportunisme dans la victoire du maire du palais, lui qui n’avait fait que répondre à l’appel au secours du duc Eudes d’Aquitaine jusqu’alors son ennemi.  Devenant le vassal de Charles Martel, c’est donc bel et bien le duc Eudes d’Aquitaine qui devrait être considéré comme le véritable pourfendeur de l’Islam dans le sud de la France. Toutefois, il n’aurait pu vaincre les hordes sarrasines sans l’appui des Francs et c’est pourquoi Charles Martel est entré dans la légende à sa place.

Héros pour l’extrême droite, tyran pour l’extrême gauche, rien de nouveau sous le soleil, constate Christian, qui est bien obligé d’admettre que le choc des cultures, une vue de l’esprit pour certains, a non seulement toujours existé, mais n’a jamais cessé, couvant la plupart du temps sous les cendres, explosant épisodiquement à la face de tous, comme à Paris, un certain jour de janvier 2015.

Christian a toujours cru que son combat se situait bien au-delà de la politique. Il se trompait. Le conspirationnisme est éminemment politique. Et s’il n’a pas osé en parler à ses amis Thierry, Daniel et Kader, il est obligé d’admettre que s’il devait quitter paris, c’était aussi pour s’éloigner de ses comparses complotistes, de plus en plus séduits par un antisionisme dissident prétendant lutter contre « l’Empire », un antisionisme dans lequel il ne se reconnaît pas.

Pour avoir lu les descriptions de la Palestine de la fin du XVIIIème siècle rédigées par Constantin-François de Volney, Christian est plus réservé que ses amis sur l’hostilité qu’il faudrait manifester contre Israël. Il n’est pas dupe non plus des prétendus rapports de Force opposant Israéliens et Palestiniens.

Mais Christian sait qu’il ne refera pas l’histoire et qu’il vaut mieux se taire, car désormais chaque parole ne fait qu’ajouter du chaos au chaos. Il vaut mieux se taire et suivre sa route.

Le lapin blanc semble bien loin de tout cela. Pas nécessairement, cependant…

A Poitiers, Christian hésite sur la direction à prendre, Saintes, Angoulême ou Limoges. Il opte finalement pour la capitale de la bande dessinée, ni trop à l’ouest, ni trop à l’est, juste dans l’axe. Un choix équilibré en somme. Il lui faut abandonner l’autoroute, certes, mais il espère que l’intermède des voies rapides aura laissé loin derrière lui les barrages de polices et autres obstacles improbables.

Il se dit qu’il n’aura pas le courage de dormir dans sa voiture le soir venu, comme il l’avait initialement planifié. Si Edmond tient parole et si Christian devient l’heureux propriétaire d’un camping-car, il peut bien se permettre une nouvelle nuit dans un hôtel, probablement à Angoulême. Demain, il sera dans le Périgord, et n’aura plus qu’à espérer qu’Edmond n’était pas un marchand de sommeil parmi tant d’autres. Quelles garanties a-t-il ? Aucune, mais il n’a plus le choix et de toute manière, il vit désormais le quotidien qu’il a souhaité vivre, le quotidien de l’homme seul sur la route, face à l’inconnu, face à l’aventure, face au mystère, face à lui-même.

Arrivé à Angoulême en fin d’après-midi sans encombre majeure, Christian fait le point. Assis dans un bar pour consommer une boisson rafraîchissante et consulter ses e-mails et sa page Facebook, il planifie la fin de sa journée. Répondre aux messages urgents, rechercher un hôtel, et appeler Edmond pour fixer un rendez-vous le lendemain.

En jetant un regard sur sa carte routière, il constate qu’il a déjà traversé plus de la moitié de la France. Il sait qu’il approche de sa destination finale et son cœur se serre. Il est désormais plus près de Tarbes que de Paris. Que trouvera-t-il là-bas ? Quelles rencontres fera-t-il ? Aura-t-il envie de s’y fixer quelques temps, ou au contraire songera-t-il immédiatement à fuir ?

Impossible. On ne peut indéfiniment fuir ce que l’on est. Seul le lapin blanc peut se permettre de fuir, puisqu’il est par nature insaisissable.

Le soir venu, Christian ne quitte pas sa chambre d’hôtel. Il préfère éviter de renouveler l’expérience de Chartres, bien que cette dernière n’ait pas été négative. Il est de toute façon trop las pour sortir. Rien d’intéressant à la télévision, Christian serait de toute manière gagné par le sommeil avant la fin du programme. Et il n’est pas du genre à s’endormir devant la télé.

21h22, il ne lui reste plus qu’une dernière formalité à accomplir avant de se coucher. Il saisit donc son téléphone, presque à court de batterie, comme lui, et compose un numéro sur l’écran tactile :

«  Allô, Edmond ? C’est Christian. »

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