Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (épisode 3)

lapinblancPar Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr

Christian profite de sa halte pour accomplir ses mises à jour du site et effectuer quelques recherches documentaires. Les théories du complot ayant suivi la tuerie de Charlie Hebdo ont définitivement discrédité toute lecture raisonnablement critique de l’actualité, renvoyant dos-à-dos les mensonges du complotisme et les mensonges des médias.

Quand les complotistes montrent la lune du doigt, les médias regardent le doigt. Ces derniers se refusant de regarder autre chose que le doigt, l’homme de la rue s’interroge, se met à douter. Ainsi, un média incapable de réfuter une thèse complotiste fait le jeu des complotistes.

Ce serait à en mourir de rire si les faits n’étaient pas si graves. Et pourquoi tel ou tel otage de l’Hyper Cacher est sorti dans une autre direction que tous les autres ? Et qui est cette femme avec un pull vert, au milieu des policiers, des secouristes et des passants qui entourent le corps d’Ahmed Merabet ? Et qu’est devenu l’ouvrier polonais qui a filmé telle ou telle séquence ? Et pourquoi mon oncle n’est-il pas ma tante ?

Tout à ses réflexions, Christian quitte le centre commercial à 15h33. Il n’a pas vu le temps passer et n’a pas le cœur à reprendre la route. Il songe plutôt à chercher un hôtel pour la nuit, et peut-être à en profiter pour visiter la cathédrale de Chartres et flâner en ville.

Dans sa voiture, Christian ne parvient pas cependant à s’extraire de ses préoccupations. Il repense aux événements de janvier, à leur perception, puis leur interprétation qui, selon les sensibilités, conduisent à des conflits toujours plus perturbants. La France est en guerre, et c’est sur Internet que cette dernière est la plus violente, mais aussi la plus insaisissable, car il s’agit d’une guerre des mots et des images.

Quand un complotiste diffuse par exemple sur le web une vidéo censée démontrer qu’Amedy Coulibaly, le preneur d’otages de l’Hyper Cacher, a été tué alors qu’il avait les mains attachées, le fait-il uniquement par goût du sensationnalisme, pour faire du buzz ? Est-il convaincu de son propos ou sait-il qu’il ment ?

Il faut avoir vu et revu cette séquence, l’avoir visionnée et re-visionnée image par image pour se convaincre que la version complotiste ne tient pas la route. Et pourtant, Amedy Coulibaly semble bel et bien menotté. La position de ses bras, ou de ce que l’on croit être ses bras ne semble en tous les cas pas naturelle. Et il faut avoir eu l’exigence décrite plus haut pour parvenir à décrypter la scène. On comprend alors que ce que l’on pense être le bras gauche d’Amedy Coulibaly n’est pas son bras gauche, mais l’une de ses DEUX armes longues. Or, cela, aucun média ne l’a expliqué au public, laissant le doute s’installer et les thèses complotistes proliférer.

D’ailleurs, en y réfléchissant, que de sottise ! Qui aurait menotté Amedy Coulibaly ? Le premier, et seul policier du groupe d’assaut à être entré dans le magasin au début de la fusillade ? Il n’en aurait pas eu le temps. Un autre policier, déjà à l’intérieur ? Donc tous les clients l’auraient vu et pourraient en témoigner. L’un d’eux l’a-t-il fait ? Ou encore un client, peut-être, qui comme par hasard, venait d’investir dans l’achat d’une paire de menottes au sex-shop du coin ? Ou mieux encore, Amedy Coulibaly s’est menotté lui-même. Mais bien sûr, puisque tous sont des agents du Mossad. Plus c’est gros, mieux ça passe, et le pire, c’est qu’il s’agit-là de l’une des devises favorites des complotistes.

Ce que nos yeux voient n’est pas la réalité, se dit alors Christian. Et cette séquence de l’assaut le démontre. Filmée dans des conditions médiocres, avec une caméra non-professionnelle, cette vidéo a divisé la population, ou a accru cette division.

Pendant ce temps, le lapin blanc se marre bien. Il sait, lui, que cette vidéo, et d’autres, sont les agents de la Matrice, ce leurre qui nous emprisonne et nous dorlote. Et c’est pour cela que dans le bien nommé film Matrix, le lapin blanc joue un rôle clé. Il ouvre le premier dialogue entre Neo et Morpheus, de même qu’il le clôture.  C’est-à-dire que dans l’une des scènes les plus importantes de ce film, le lapin blanc occupe une place capitale, le début et la fin, l’Alpha et l’Omega.

Christian se gare sur une petite place ombragée sur les bords de l’Eure, jouxtant la collégiale Saint-André, avant d’entamer sa promenade pédestre. Il note scrupuleusement les noms des rues qu’il emprunte afin de ne pas s’égarer. Dès qu’il le pourra, il se procurera un plan de la ville. En attendant, il n’a pour seul guide que la paire de clochers octogonaux de la cathédrale.

A suivre…

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Lire l’épisode 2

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