Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (Episode 12)

lapinblancPar Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr

« Salut mon grand, t’as faim ? Je t’invite. »

Tels sont les premiers mots d’Edmond, dès son arrivée sur le lieu du rendez-vous, le restaurant Mac Donald’s de Marsac sur l’Isle, en périphérie de Périgueux. Christian est un peu gêné de revoir ce drôle de bonhomme qu’il ne connaît pas, mais qui l’intrigue au plus haut point. Edmond semble encore plus nerveux que la première fois, et il a du mal à tenir en place dans la file d’attente du Mc Do, jetant autour de lui de petits regards obliques, furtifs, comme s’il se sentait espionné. Les deux hommes n’échangent que des banalités, alors qu’ils patientent à la caisse tandis que le personnel du Mc Do s’affaire en tous sens pour hâter la préparation des commandes, et ce n’est que lorsqu’ils sont attablés à l’écart des badauds et de la cohue qu’ils vont pouvoir aborder les choses sérieuses :

« Je n’ai pas réagi tout de suite lorsque tu m’as parlé du lapin blanc avant-hier soir, mais il faut dire que j’avais sérieusement picolé et que j’avais la déconne. Enfin bref. Si tu m’as demandé si le lapin blanc évoquait quelque chose pour moi, c’est que tu as senti intuitivement que je détenais la réponse à cette question, ou du moins une partie de la réponse, et tu as vu juste. Je sais des choses sur le lapin blanc. Mais avant de t’en parler, je dois te retourner la question. Qu’est-ce que le lapin blanc évoque pour toi ? »

Christian pioche une frite et la mâchonne lentement :

– Eh bien je crois qu’il symbolise la quête de soi-même, la remise en question, et aussi le doute perpétuel qu’il faut avoir face au discours des médias, aux images que l’on voit à la télé, tout ce qu’on entend. Je crois qu’il symbolise la matrice, les apparences que le monde nous inflige.

– C’est un bon début, murmure Edmond en hochant la tête. Qu’est-ce qui t’a poussé à tout quitter pour suivre le lapin blanc ?

– Les attentats de Paris, je crois. Et surtout quand j’ai vu ces pare-soleil Playboy dans la voiture des frères Kouachi.

Devant la mine déconfite d’Edmond, Christian lui explique la présence du logo Playboy, une tête de lapin blanc, dans le véhicule utilisé par les terroristes, et l’émoi que cette apparition a provoqué dans la sphère conspirationniste :

– Merde, j’ai raté ça, soupire Edmond. Et comment tu interprètes la présence de ce symbole à cet endroit-là et à ce moment-là ?

– Je me suis dit : Ces attentats ne sont pas qu’un cruel fait divers. Il y a autre chose derrière. Mais pas une conspiration ou une manipulation au sens où beaucoup l’entendent. Non, il y a autre chose, ce que j’appelle une manifestation de l’invisible. Un message.

– C’est exactement ça, Christian, tu as compris. Ce que tu as vu, beaucoup ne l’ont pas vu. Ils ont des yeux mais ne voient pas, disent les Evangiles. Beaucoup, aussi, ont vu, mais n’ont pas compris. Toi, tu as vu et tu as compris. Le lapin blanc, c’est l’animal que le magicien fait sortir de son chapeau, son chapeau n’étant qu’un leurre, puisque le lapin blanc surgit du néant. Il vient tout droit des mondes invisibles, comme tu l’as dit toi-même. Si tu t’intéresses à la Kabbale, tu vois de quoi je veux parler. Le lapin blanc symbolise la magie, tout simplement, pas celle de Harry Potter ou je ne sais quoi, non, la véritable magie, celle qui peut surgir à tout moment dans nos vies et qui, n’en déplaise à ces crétins de rationalistes, est plus réelle que le réel. La magie n’est pas le pouvoir de projeter des éclairs avec ses doigts ou de concocter des potions à la poudre de Perlimpinpin, tout ça, c’est du cinéma. La vraie magie ne se voit pas, ce qui la rend d’autant plus mystérieuse et puissante. Elle n’est pas le jouet des hommes mais les hommes en sont le jouet.

Edmond s’interrompt quelques secondes, le temps de mastiquer et d’avaler une autre bouchée de son Big Mac :

– Hier, je suis allé au château d’Angers. Tu connais la tenture de l’Apocalypse ?

Devant le hochement de tête négatif de Christian, Edmond poursuit :

– C’est une tapisserie monumentale du Moyen-Age, qui se trouve au château d’Angers. Cette tapisserie illustre l’Apocalypse de Saint Jean. Je t’ai amené un peu de documentation, regarde !

Christian essuie ses doigts à l’aide d’une serviette en papier et commence à examiner les brochures publicitaires et autres cartes postales qu’Edmond vient de déposer sur la table. Tous ces documents présentent des reproductions de ces fameuses tapisseries. Christian les regarde attentivement, sans comprendre où son interlocuteur veut en venir :

– Oui, bon, et alors ?

– Regarde très attentivement, tu ne remarques vraiment rien ?

– Christian saisit les dépliants, les examine sous toutes les coutures, bien qu’il soit difficile d’admirer les minuscules représentations des tapisseries en question. Durant quelques minutes, il ne note rien de singulier avant de s’impatienter. C’est alors qu’il s’apprête à abandonner toute recherche que soudain, comme une évidence, le lapin blanc lui saute au visage. Abasourdi, le jeune homme lève les yeux vers Edmond, dont les yeux perçants couronnent un inquiétant sourire en coin :

– Au début de la fresque, on voit le lapin blanc disparaître dans son terrier, pour n’en ressortir que vers la fin. Comprends-tu ce que cela signifie ?

chateau_danger

Toujours médusé, Christian secoue niaisement la tête, pendu aux lèvres d’Edmond :

– Cela signifie que si le lapin blanc réapparaît depuis quelques temps, c’est qu’il est sorti de son terrier. Ce qui signifie donc que notre époque actuelle correspond à la fin de la fresque…

– … et que nous approchons de la fin des temps, l’interrompt Christian, brutalement.

– Tu as compris.

De plus en plus sidéré, Christian regarde sans un mot Edmond ramasser les documents étalés sur la table et les ranger consciencieusement dans son sac à dos.

– Nous vivons la fin des temps et tu t’es mis en quête car tu as un rôle à jouer dans tout ceci. Et cette quête est dangereuse. Sois conscient que la tenture de l’Apocalypse se trouve au château d’Angers, qui selon le langage des oiseaux, peut s’écrire en deux mots : château danger.

– Mais… balbutie Christian, mais qu’est-ce que je viens faire là-dedans ? Qu’est-ce que je connais de toute cette histoire ? Je suis censé faire quoi ?

– Tu es censé apprendre ce que tu ignores encore, et c’est pour cela que tu m’as rencontré.

Les yeux d’Edmond se font plus perçants que jamais, sa voix plus glaçante. Son visage, plus émacié et ridé qu’à l’accoutumée n’en est que plus inquiétant lorsqu’il se penche en avant et murmure à Christian :

– Lorsque l’élève est prêt, le maître arrive !

A suivre…

Lire les épisodes précédents :

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.