Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (épisode 6)

lapinblancPar Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr

A 23h11, le troquet est désormais presque vide. Le barman et son dernier serveur jettent furtivement des coups d’œil de table en table en se demandant s’ils pourront tirer le rideau avant minuit.

Mais Edmond n’en a cure. Ayant trouvé un interlocuteur réceptif, il se montre intarissable, se met à parler des anges et autres sujets ésotériques. Christian ne l’interrompt que très rarement, laissant l’étrange personnage vagabonder d’un thème paranormal à l’autre. Edmond semble en connaître un rayon, suggérant même qu’il a eu affaire par le passé à certains groupes occultes. Sectes ? Franc-maçonnerie ? Christian n’ose pas lui poser de questions trop pointues, de peur de trahir sa propre culture dans le domaine des mystères et d’attiser la curiosité de son singulier compagnon. Le jeune homme préfère jouer les candides, lançant de temps à autres une question assez vague :

– Et les théories du complot, tu y crois ?

– Bien sûr ! Qu’est-ce que tu crois ? On est fliqué de partout, c’est une évidence. Les ordinateurs, les téléphones portables ! Si tu savais, mon pauvre…

« T’inquiète, j’en sais plus que tu ne penses. » songe Christian, un peu déçu de cette réponse laconique. Peut-être est-il temps d’aborder un autre sujet, ou mieux, de prendre congé, mais ce serait sans compter sur la curiosité d’Edmond :

– Dis donc, Christian, je papote, je papote, mais je ne sais rien sur toi. Qu’est-ce qui t’amène à Chartres ?

– Je descends dans le Sud-Ouest, justement, là d’où tu viens. Je me suis arrêté pour la nuit.

– Ah… qu’est-ce que tu fais dans la vie ?

– Développeur web freelance… et puis des petits boulots. J’étais sur Paris mais avec les attentats, c’est devenu invivable pour moi. Je me casse.

– Et tu sais où dormir ? T’es en galère ?

– Pour ce soir, c’est bon, j’ai trouvé un hôtel. Demain, j’essaierai de dormir dans ma voiture.

Edmond regarde longuement Christian, comme si ses yeux cherchaient à le transpercer. Le vieux fou a retrouvé son air grave, solennel et un peu inquiétant :

– Un camping-car, d’occase, ça t’intéresse ?

– Un camping-car ?

– Un vieux modèle, mais il a très peu servi, il est nickel. C’est un Pilote, de 1985. Je le vends pour pas cher, et tu me laisses ta voiture. Qu’est-ce que t’en dis ?

Christian ne sait quoi répondre. Il ne pensait pas acheter si tôt ce genre d’engin, mais après tout, cela lui garantirait des nuits plus confortables que dans sa Modus.

– Il faut que je le voie, que je fasse un tour avec.

– Il n’est pas ici. Il est chez mon frère, en Dordogne.

Edmond fouille dans ses poches d’où il tire plusieurs bouts de papier chiffonnés. Il les défroisse sommairement, puis écrit sur l’un d’entre eux à l’aide d’un stylo préalablement emprunté au serveur :

– Je t’écris l’adresse de mon frangin, il est garagiste. C’est un connard, mais c’est mon frère, et je sais que pour certains trucs, il est réglo. Je te mets aussi son numéro de téléphone, et aussi mon numéro de portable. J’ai une affaire à régler ici demain, et après je descends en Dordogne. Si ça te dit, on se retrouve là-bas pour que tu voies le camping-car.

– OK, on fait comme ça.

A bien y réfléchir, c’est comme si le destin mettait tout en œuvre pour aider Christian dans sa quête du lapin blanc. Le bar est vide de tout client désormais, et il est temps d’aller dormir, car le barman et le serveur s’impatientent, jetant à Edmond et Christian des regards de moins en moins conciliants.

Les deux hommes se séparent donc sur le trottoir, et Christian, sans trop réfléchir, pose à Edmond la question qui lui brûle les lèvres depuis le début de leur conversation :

– Edmond, tu vas trouver cette question stupide, mais si je te parle d’un lapin blanc, qu’est-ce que ça évoque pour toi ?

Edmond éclate de rire, révélant une denture anarchique :

– Pardi ! Un bon civet, ma couille !

Et le vieux fou à moustache disparaît au coin de la rue, hilare. Christian s’esquive de même sans attendre de savoir si ce coup-ci, l’énigmatique Edmond retrouvera sa voiture… ou un bon Samaritain disposé à l’y reconduire.

A 00h00, l’hôtel est enfin plongé dans le silence qui sied à ce genre d’endroit en pleine nuit. Christian est épuisé et sait qu’une autre dure journée l’attend. Une journée de route, d’inconnu, d’aventure…

Une nouvelle étape sur les traces du lapin blanc.

A suivre…

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