Humeur : la rentrée littéraire, pourquoi faire ?

pgcomPar Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Deux âmes dans l’antre des fous (Publibook, 2002) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr

Je lis dans l’édito du n°173 du magazine  Page des libraires, la phrase suivante, signée Véronique Marchand, libraire à Rennes : « J’aime ces chiffres parce qu’ils sont la preuve d’un dynamisme éditorial, d’une création littéraire et d’une curiosité intellectuelle sans cesse renouvelées. »

De quels nombres (et non chiffres, une libraire devrait le savoir) s’agit-il ? Ceux de la rentrée littéraire 2015, bien entendu : 589 livres, 393 romans français dont 68 premiers romans, et 196 romans étrangers pour cette rentrée littéraire 2015.

Cette phrase de libraire résume à elle seule le fossé, le gouffre, voire l’abysse qui sépare le petit mais ô combien puissant monde des Zarzélettres, pour reprendre le savoureux néologisme de Maurice G Dantec, du vaste et laborieux univers des petits auteurs indépendants.

Pour ma part, cette frontière aussi invisible qu’infranchissable évoque plutôt pour moi la séparation entre les auteurs d’en haut et les auteurs d’en bas. Eh oui, à Paris, il y a Saint Germain des Prés, ses prestigieuses maisons d’édition qui font la pluie et le beau temps, qui ont les grands médias dans leur poche et qui tiennent les librairies sous perfusion. Mais il y a aussi, dans la brume des bas fonds, dans les relents nauséabonds d’une Seine saturée, à la croisée des égouts, cet endroit aussi dangereux que magique, ce lieu improbable que l’on nomme la Cour des Miracles. Là, une faune d’écrivaillons enguenillés, rejetés par les éditeurs, méprisés par les médias qui servent la soupe aux éditeurs et dédaignés par les libraires qui ne sont finalement que les larbins des deux premiers.

Depuis que j’ai créé L’ami des auteurs en janvier, je me suis accoutumé à la puanteur de cette Cour des Miracles où l’on croise toutes sortes d’éclopés du stylo, d’indigents de l’écriture et de refoulés de l’édition. Et ces forçats du langage ne se comptent pas en centaines, mais en centaines de milliers, au bas mots. Je suis fier d’être l’un de ces parias du traitement de texte et de l’imprimante jet d’encre et je vous garantis que c’est cette Cour des Miracles qui est la preuve d’un dynamisme éditorial, d’une création littéraire et d’une curiosité littéraire sans cesse renouvelées, et non les 393 élus français de l’éditocratie germanopratine.

Qu’ils aient du talent et qu’ils méritent la place qui est la leur, je ne le conteste pas. Beaucoup, d’ailleurs, avant de connaître une certaine reconnaissance, auront sûrement traîné leurs guêtres poussiéreuses dans la fange pestilentielle de la Cour des Miracles, et ce durant quelques années. Ce qui me chagrine, c’est de ne rien voir d’autre que le manège des pantins germanopratins chez qui on se défait des guêtres pour chausser les patins.

Parfois, des auteurs font le chemin inverse, éjectés des salons cossus pour finir sur le cul, et ce simplement pour avoir osé décrire le fonctionnement de la république bananière des Zarzélettres. Demandez à Bertrand Latour, auteur de L’attraction du vide, si je mens.

Alors, vous savez, moi, je crois que je vais rester bien tranquillement dans ma Cour des Miracles, et lorsqu’il me prendra la folle idée d’aller présenter mes livres à un libraire, j’éviterai de me faire trop d’illusions. Je sais que le brave commerçant me scrutera de la tête aux pieds avec un air mi-agacé, mi-hautain, et après avoir fait semblant de lire la quatrième de couverture de mon bouquin, finira par me lancer :

« Oh! Vous savez, le fantastique, on n’a pas le lectorat pour ça, ici ».

Ce qu’il faudra traduire par :

« Ici, on ne s’intéresse qu’à la grande littérature. Vous n’êtes pas publié chez Grasset, Flammarion ou Plon, il y a donc fort peu de chances que vous soyez invité à La grande Librairie, sur France Culture ou même chez Ruquier. En conséquence, votre torchon est invendable. Et comme je suis libraire et que moi, au moins, je m’y connais, je vous donne un sage conseil, arrêtez d’écrire car cela ne vous mènera nulle part. »

Moralité : la vente de livres est une chose trop importante pour être laissée à des commerçants.

Mais bon, c’est ainsi. laissons la dictature des Zarzélettres se gargariser avec sa rentrée littéraire une fois par an. Je retourne à la Cour des Miracles car je sais que là-bas, au moins, c’est la rentrée littéraire tous les jours.

A la Cour des Miracles, il y a suffisamment d’auteurs pour résoudre la crise du chômage en créant un marché du livre parallèle. En créant les médias qui parleraient des auteurs dont on ne parle nulle part ailleurs, en ouvrant des librairies d’où seraient bannis les zauteurs de la rentrée littéraire, imaginez le nombre d’emplois créés, imaginez la soudaine notoriété de fieffés inconnus qui, subitement, parviendraient à vivre de leur plume, même chichement.

Mais, me direz-vous, encore faudrait-il que le public soit moins conditionné par la dictature des Zarzélettres. C’est un fait. J’ai lu ce week-end dans le journal que les Français étaient des passionnés de lecture. Leurs références ? Hugo (Victor), Zola ou Pagnol, et en BD, Astérix…

Mouais, bon, c’est pas gagné, et la Cour des Miracles a de beaux jours devant elle…

… et L’ami des auteurs aussi.

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