Feuilleton : Le mystère du lapin blanc (épisode 4)

lapinblancPar Frédéric Candian, auteur de plusieurs romans, dont Justice (Bénévent, 2005) et La communauté de Thésée (Edilivre, 2009). Son site web : www.fredcandian.fr

Le symbolisme du labyrinthe est très expressif : il représente l’univers dans tous ses méandres, avec toute sa complexité, mais aussi dans son unité primordiale, car la totalité y est contenue.

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Il est 16h11 lorsque Christian pénètre à l’intérieur de la cathédrale de Chartres. Et ce n’est qu’à cet instant précis qu’il réalise que sa présence en ce lieu n’est pas due au hasard. Il a été appelé pour communier ce jour-là, à 16h11, en cette architecture sacrée.

Christian n’est certes pas un spécialiste de la question, mais pour s’être intéressé depuis des années à toutes sortes de mystères, il sait que la cathédrale de Chartres n’a rien d’anodin, y compris pour un édifice religieux. La cathédrale de Chartres est une addition de lieux sacrés, et ce depuis l’époque celtique, voire même avant. La lumière bleutée de ses vitraux en éclaire la beauté comme elle en laisse dans l’ombre les secrets.

Christian a lu toutes sortes de choses sur les hauts-lieux vibratoires, le langage codé des tailleurs de pierres du Moyen-Age, les mille et une manières d’envisager la spiritualité dans un tel écrin, d’envisager la rencontre avec l’invisible. Sous ses pieds, le labyrinthe, tout en le perdant dans les méandres de son esprit, le rapproche de lui-même. Il le comprend tout de go : il est en train de vivre son initiation.

« Je suis entré dans le terrier du lapin blanc », conclut-il à voix basse, à la fois surpris de sa prise de conscience et soulagé, car persuadé qu’il est sur le bon chemin. Il est là où il doit être, quand il doit y être.

Invité au recueillement, Christian s’assied sur une chaise et observe les quelques fidèles en prière et les touristes encore nombreux en cette fin d’après-midi. Le vide s’est fait en lui, dissipant pour un temps les questions, les angoisses, la frustration, l’inquiétude. Soulagé et en paix, il s’offre quelques minutes de connivence avec l’éternité.

Son regard, d’abord perdu, s’attache peu à peu aux visiteurs qui vont et viennent, avant de se fixer sur un homme en particulier, un individu au comportement singulier. En effet, ce type assez maigre semble fureter d’un coin à l’autre de la cathédrale. Alors que les touristes déambulent lentement et en toute solennité, le curieux personnage semble nerveux, excité, et examine scrupuleusement tel ou tel ornement architectural avant de traverser la nef de la cathédrale pour disparaître dans le bras sud du transept. Et ce pour émerger une nouvelle fois dans la nef à la recherche de quelque chose une poignée de secondes plus tard.

Ce type est à la recherche d’informations. Pour Christian, qui ne quitte désormais plus l’homme des yeux, il ne fait plus aucun doute que l’étrange bonhomme n’est pas un visiteur comme les autres.

Il est en train de décoder le langage de la cathédrale.

Christian se lève, fermement résolu à comprendre le curieux manège de l’homme piqué par Dieu sait quelle mouche. L’air de rien, il s’approche de l’individu pour mieux l’examiner. Le type doit avoir la cinquantaine, environ. Plus de quarante-cinq ans, quoi qu’il en soit, et moins de soixante. Il n’est pas très grand, quelque chose comme un mètre soixante-dix. Une moustache fine et une barbe de trois jours poivre et sel recouvrent le bas d’un visage émacié. Christian en déduit qu’il pourrait avoir affaire à un marginal. Les quinquagénaires embourgeoisés commencent en effet en général à être sujets à l’embonpoint, exception faite des grands sportifs. Mais le petit homme à la fébrilité de fouine ne lui semble pas appartenir à cette catégorie. En effet, le gabarit n’est pas celui d’un sportif, mais plutôt celui d’un individu qui aurait pu connaître dans sa vie des problèmes d’alcool ou de drogue. Sa manière de se vêtir semble confirmer cette première déduction. Un blouson d’aviateur élimé sur un simple T-shirt, une paire de jeans et des baskets indiquent le peu d’intérêt porté à l’apparence, avec toutefois le souci d’une tenue correcte. Les baskets, en effet, et peut-être aussi le T-shirt, ont l’air neuf. Le cheveu court et impeccablement tiré en arrière confirme l’impression générale d’un homme cherchant à faire bonne figure avec peu de moyens.

Cessant de courir en tous sens, le petit homme maigre prend désormais plus de temps à examiner certains détails, en particulier en ce qui concerne les vitraux ainsi que la clôture du chœur et sa statuaire foisonnante.

Christian doit mettre en œuvre des trésors d’ingéniosité pour rester discret et ne pas attirer à son tour l’attention du petit homme qui, par moment, semble murmurer à lui-même quelque étrange remarque.

Dix minutes plus tard, Christian abandonne tout espoir de comprendre les agissements du petit gars à moustaches, et songe qu’il serait peut-être temps pour lui de se mettre en quête d’un hôtel pour la nuit. Il quitte donc la cathédrale d’un pas léger, un sourire apaisé sur le visage, bien que toujours intrigué par le spectacle incongru auquel il vient d’assister.

Décidément, quel étrange personnage. Un personnage qui semble courir après le temps. Après le temps… comme le lapin blanc.

A suivre…

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